Les traductions de Zola au Portugal et en Roumanie: similitudes et asymétries
Célia VIEIRA & Inês Guerra SANTOS
Descriere autor:
University of Maia
E-mail:
E-mail personal autor:
iguerra@umaia.pt
10
Rubrica:
Studii literare
Abstract: As part of the study of naturalism in the world, a systematic and extensive research of Zola’s translations could provide essential data to identify naturalist transfers and the specificity of literary and cultural transmission in each linguistic and cultural domain. In this article we start from the quantitative analysis of Zola’s translations in Portugal and Romania to try to identify the socio-political, literary and cultural contexts which frame the translations of his literary works in these two countries. Our goal is to identify the similarities and asymmetries highlighted by a study of comparative literary reception, which illustrates the complexity of naturalism on its international expansion.
Keywords: Zola, Translation, Naturalism in Portugal, Naturalism in Romania, Comparative reception
Introduction
Zola a été, de son vivant, l’un des romanciers les plus lus dans le monde, grâce à la diffusion rapide de ses romans dans d’autres langues que le français. Sa renommée[1] à l’échelle globale a perduré jusqu’à l’actualité et c’est pourquoi ses œuvres, périodiquement rééditées, sont devenues des “classiques”[2] de la littérature universelle. Dans le cadre de l’étude du naturalisme au monde[3], une enquête systématique et vaste sur les traductions de Zola pourrait apporter des données indispensables pour cerner les transferts naturalistes et la spécifié de la transmission littéraire et culturelle dans chaque domaine linguistique et culturel[4]. De toutes les possibilités offertes par le comparatisme, les recherches comparatives sur la réception sont assez productives pour comprendre la complexité des transferts culturels. Proposée, parmi d’autres, par Yves Chevrel[5], cette perspective vise à analyser la réception des mêmes textes dans des aires culturelles différentes, afin de mettre en évidence la différence entre leurs systèmes littéraires, leur périodisation et leur rapport au contexte historico-culturel. En même temps, cette approche met en évidence les tensions globales inhérentes au processus de réception-création, dans le cadre de la théorie d’un champ littéraire mondial[6][7]. Comme l’explique Barjonet & Zieger, “la perspective internationale idéale est une étude comparatiste de réception comparée puisqu’il convient en somme de comparer la réception dans plusieurs pays étrangers, à la fois entre eux ainsi que par rapport à l’espace d’origine, à savoir la France.”[8]
Dans cette étude, nous partons de l’analyse quantitative des traductions de Zola au Portugal, pour comparer ces résultats avec la situation des traductions de Zola en Roumanie, tout en essayant d’identifier les contextes socio-politiques, littéraires et culturels qui encadrent les éditions traduites des œuvres littéraires de Zola dans ces pays.
Pour discuter ces résultats, concernant la chronologie des œuvres traduites, il faut aussi considérer, dans le sillon des études de Bassnett & Lefevere[9], que les textes traduits reflètent toujours les conditions historiques et culturelles dans lesquelles ils ont été produits. Cela signifie qu’il faut prendre en compte le texte traduit dans une dimension ample et l’intégrer dans un réseau de signes culturels qui porte des marques du système source mais aussi du système cible. Gambier[10] évoque à cet égard un processus de sociotraduction car aucune traduction n’est absolument neutre, notamment parce qu’elle révèle des relations de pouvoir sous-jacentes[11]. De plus, le simple choix d’un auteur ou d’un texte à traduire implique de prendre en compte “les pouvoirs (personnes, institutions) qui aident ou empêchent l’écriture, la lecture ou la réécriture de la littérature”[12].
Méthode et corpus
Reprenant le travail fondamental de Claudia Ponccioni[13], nous avons effectué une actualisation de la liste des œuvres d’Émile Zola traduites au Portugal, à partir des notices bibliographiques disponibles sur la base de données Porbase[14] concernant les traductions de Zola et nous avons comparé ces informations avec les listes établies par Claudia Poncionni[15] en 1999 et avec celles déjà répertoriées en 1991 par Cristina Marinho[16].
Pour ce qui est de la Roumanie, cette recherche possède encore un caractère exploratoire, car le relevé systématique suivi d’une analyse quantitative de ces traductions devra être complété par une recherche plus détaillée auprès des bibliothèques roumaines. Nous nous appuyons, donc, sur les références bibliographiques indiquées par Maria Bîrnaz[17], Daniela Pintilei[18], Rodica Ştefan[19] et Ecaterina Cleynen-Serghiev[20], ainsi que sur le Dicționarul cronologic al romanului tradus în România de la origini până la 1989[21], edité par l’Academiei Române Bucureşti.
Pour établir ce corpus, nous avons pris en compte uniquement l’œuvre fictionnelle de Zola, traduite et éditée en langue portugaise et roumaine entre 1881 et 2018. En effet, même s’il y a des références à des traductions avant 1881, à ce moment-là les traductions des œuvres dans des feuilletons emportent sur les éditions en livre et constituent le moyen privilégié de diffusion de l’esthétique naturaliste. En même temps, d’un point de vue méthodologique, pour quantifier ces résultats, nous avons signalé comme édition quantifiable toute notice bibliographique avec une date de publication nouvelle ou un éditeur différent, y comprises les rééditions. Nous avons aussi éliminé toute notice répétée, c’est-à-dire, du même auteur, de la même année et avec le même éditeur. En plus, nous n’avons pas pris en compte les ouvrages sans date de publication, à l’exception des cas où on pouvait estimer une date approximative de publication.
- Traduire Zola au Portugal
Il n’est pas encore possible d’établir une chronologie précise et complète des traductions de Zola au Portugal car, comme nous l’indique Claudia Ponccioni[22], fréquemment, ces œuvres étaient tout d’abord publiées dans des journaux, chapitre à chapitre, et la publication complète, en œuvre autonome, était postérieure. Or, pour la plupart, on possède des rééditions du XXème siècle, alors que la traduction originale n’est plus disponible. Cette chronologie serait fondamentale pour comprendre les contours des transferts littéraires, étant donné, comme nous l’indique la même chercheuse, que les raisons qui déterminent qu’une œuvre soit traduite d’une langue à une autre ne sont pas simplement esthétiques, mais plutôt idéologiques, politiques et commerciales. Cette chronologie est d’autant plus difficile à reconstituer que les fonds bibliographiques sont par nature des collections ouvertes, en actualisation régulière.
Si le nombre d’œuvres traduites et éditées est un indicateur qui permet de cerner des marques culturelles, esthétiques et sociologiques du système cible de la traduction, le relevé des dates de ces éditions est encore plus significatif dans le contexte des transferts textuels. La figure suivante présente les résultats obtenus par le biais de la quantification du corpus établi, c’est-à-dire, l’ensemble des éditions traduites des œuvres de fiction de Zola, au Portugal, entre 1881 et 2018.
Figure 1 – Editions traduites de l’œuvre d’Émile Zola, au Portugal (1881-2018)
Sur la Figure 1, nous pouvons identifier, comme moments prédominants de la publication de l’œuvre traduite de Zola au Portugal, les années suivantes: i) vers 1890, ii) 1911-1920, iii) entre 1941 et 1960, iv) 1971-1980. Certes, un aspect qui est directement lié à l’évolution de l’édition, après l’implantation de la 1ère République au Portugal, en 1910, d’une manière générale, est le taux d’alphabétisation. En effet, la première moitié du XXème siècle portugais est marquée par des plans d’action éducative qui visent la normalisation de l’enseignement primaire et secondaire[23] et l’alphabétisation massive de la population, dont le taux d’analphabétisme, au début du siècle, atteignait environ 80% de la population. Cela veut dire que cette évolution positive de la lecture affecte d’autres écrivains que Zola et justifierait, en général, l’accroissement de la dynamique éditoriale tout au long du XXème siècle.
Mais, pour interpréter ces résultats, il faut évoquer d’autres faits de l’histoire littéraire, culturelle et politique portugaise qui peuvent avoir une correspondance avec les courbes montantes de ce graphique et être mis en rapport avec la fortune de Zola au Portugal.
L’apogée de la polémique naturaliste se situant au début des années 80 du XIXe siècle, période où le taux de publications pro- ou antinaturalistes est le plus élevé, que ce soit sous forme de création fictionnelle, d’articles et d’essais critiques ou théoriques, ou sous forme de discussion publique, on assiste à une chute des éditions traduites tout au long de la décennie suivante, à la fin du XIXème siècle, au moment où le naturalisme en tant qu’option esthétique tend à être négligé par rapport à d’autres manifestations esthétiques. Cette tendance avait en fait commencé à être observée depuis la seconde moitié des années 1880 avec l’augmentation, dans le domaine du roman, de la production, de la circulation et de la consommation de romans de type “psychologique” ou “spirituel”, alors que, dans la pratique littéraire, les épigones du naturalisme continuaient à remporter du succès.
Cependant, on assistera à une remontée de l’intérêt dans l’œuvre zolienne au début du XXème siècle, notamment vers 1910, à la suite de la proclamation de la 1ère République (1910-1926). Même si ces années sont assez hétérogènes, du point de vue de la création littéraire[24], faisant écho, et d’une reprise de la tradition post-romantique et réaliste du XIXème siècle, et d’une discontinuité marquée par les avant-gardes modernistes, le relancement des écrivains de la Génération de 1870, qui avaient lancé les bases d’un État progressif et démocratique, est incontournable. La réédition des écrivains réalistes/ naturalistes durant cette période d’affirmation de l’idéologie républicaine va de pair avec la traduction ou réédition des œuvres de Zola. D’ailleurs une autre révolution démocratique, celle de la fondation de l’état démocratique, après la révolution du 25 avril 1974 entraîne la même coïncidence entre faits politiques et faits éditoriaux, avec une nouvelle remontée du nombre de publications de l’œuvre zolienne, au milieu de la décennie de 70 du XXème siècle.
Si la corrélation entre la République et la Littérature découle d’une équation identifiée par Zola lui-même[25], il reste néanmoins complexe de comprendre la relation inverse. On observe, d’après ces données, que c’est pendant les années 50 du XXème siècle, c’est-à-dire, pendant la dictature vécue au Portugal entre 1926 et 1974, que le taux de publication des œuvres (re)traduites est le plus élevé. Ce fait est d’autant plus surprenant que, après avoir mis en place, dans les années 40, les normes et les démarches de la Censure[26], la dictature de Salazar, pendant ces années en particulier (1950-58), connues comme les “années de plomb”, censurait ou interdisait régulièrement la publication et la circulation de toute œuvre traitant de sujets sensibles tels que la politique, la religion ou le sexe. Il s’agit d’une période pendant laquelle, alors que, au niveau interne, l’opposition avait été détruite, suite à une action policière impitoyable, et que, au niveau externe, dans le contexte de l’après-guerre et de la Guerre Froide, aucune action conjointe des membres de l’ONU n’était entamée pour libérer la Péninsule Ibérique des dictatures qui l’opprimaient, le régime de Salazar avait renforcé sa suffisance politique et idéologique et avait établi un ordre encore plus conservateur, anti-démocratique, nationaliste et catholique[27]
Pour mieux encadrer la traduction de l’œuvre zolienne au cours des années 50, il faut repérer les faits identifiés par Seruya & Moniz, dans une large étude sur les traductions au Portugal pendant la Censure[28]. D’après ces chercheuses, 58% des œuvres littéraires en français étaient interdites, ce qui constitue le taux le plus haut par rapport à d’autres langues. Comme nous l’explique Gonçalves, “Compte tenu de l’influence exercée par la France sur la culture et la société portugaise d’alors, il est inévitable que la Censure se soit exercée avec d’autant plus de fermeté sur des auteurs français.”[29]. Il faut préciser, néanmoins, que la Censure était exercée et sous la forme de Censure préalable, concernant tous les ouvrages soumis à un autorisation de publication par les auteurs, les éditeurs et traducteurs avant la publication, et dont l’édition pouvait être “corrigée” ou interdite, et sous la forme de “Censure répressive”, s’appliquant à toute œuvre disponible dans les librairies ou mise en circulation. Parmi les auteurs français du XIXème interdits, on trouve Guy de Maupassant, Charles Baudelaire ou Flaubert[30], mais la Censure pouvait se concentrer sur une œuvre spécifique d’un auteur et non sur l’ensemble de son œuvre, tel est le cas de Madame Bovary, de Flaubert ou de Paradis Artificiels, de Baudelaire[31]. En plus, il n’y avait pas d’auteurs ou de thèmes à rejeter a priori et plusieurs facteurs pouvaient être pris en considération, comme, parmi d’autres, le fait que l’auteur était perçu comme un “classique”[32], tel Balzac ou Dostoievsky.
Cela peut justifier ce paradoxe apparent dans l’évolution chronologique des œuvres traduites de Zola. Mais l’acte de traduire soulève des questions concernant la portée idéologique et culturelle de la traduction. Pourquoi publier des éditions traduites de l’œuvre de Zola pendant ces années-là? Cet intérêt pourrait s’inscrire dans un mouvement de révision des auteurs de la Génération de 1870, celle qui a affirmé le réalisme et le naturalisme dans la littérature. En effet, le néoréalisme, qui est l’un des courants esthétiques dominants au Portugal au milieu du XXe siècle[33], puise ses racines théoriques dans la comparaison entre le réalisme du XIXe siècle et ce nouveau réalisme. Mais cette comparaison met en relief ce en quoi les deux tendances s’opposent, traçant une ligne de division entre le “Réalisme utopique, bourgeois et naïf” et le “Néo-Réalisme, également utopique, cependant prolétaire et critique”[34]. Malgré cette opposition, il est indiscutable l’existence d’un pont entre les deux mouvements littéraires, à tel point que l’on ne pourrait pas analyser certains auteurs néo-realistes portugais sans prendre en compte leur rapport avec l’œuvre zolienne[35].
Sachant que la Censure pouvait être exercée de différentes manières, on pourrait supposer que la publication des œuvres de Zola aurait été autorisée, mais que celles-ci auraient subi une série d’omissions, avant leur parution. Toutefois, la comparaison, par échantillon, d’une édition traduite de Germinal publiée, en 1956[36], avec le texte source nous amène à croire que cette traduction de Zola n’a pas été manipulée et que, sauf quelques moindres changements, elle correspond ipsis verbis à la traduction déjà réalisée par le même traducteur en 1885. Nous nous référons, par exemple, à la scène où Souvarine et Étienne discutent de l’efficacité du changement social du marxisme et de l’anarchie. Dans ce cas, la comparaison entre le texte source et la traduction du même fragment textuel fait preuve d’une option pour la traduction littérale, malgré toute la complexité théorique du concept de fidélité de la traduction[37]. Zola a, semble-t-il, bénéficié, en tant que “classique”, d’un statut d’exception, au sein d’un système répressif, car aucune référence au marxisme et à l’anarchie n’a été censurée. Il ne pouvait en être autrement, puisque pour censurer l’œuvre de Zola, il faudrait aussi censurer l’œuvre du plus grand romancier portugais du XIXe siècle, l’écrivain naturaliste Eça de Queirós.
- Traduire Zola en Roumanie
Pour ce qui est de la réception de l’œuvre littéraire zolienne en Roumanie, la vaste enquête de bibliographie critique réalisée par David Baguley [38] a mis en évidence la dimension globale du naturalisme et a révélé l’extension de la réception de Zola dans plusieurs zones géographiques et linguistiques, dont la Roumanie. Après 1976, la collection d’études consacrées à la réception et à la traduction de l’œuvre de Zola s’est considérablement augmentée, permettant de conclure qu’en Europe de l’Est et, en particulier, dans l’espace roumain, la réception de Zola a accompagné les étapes de diffusion du naturalisme identifiées dans le monde entier par Yves Chevrel[39].
Pour ce qui est des traductions, le graphique suivant quantifie les éditions traduites de l’œuvre d’Émile Zola, en Roumanie, entre 1881 et 2018.
Figure 2 – Editions traduites de l’œuvre d’Émile Zola, en Roumanie (1881-2018)
Le graphique nos permet d’identifier des moments majeurs dans les cycles des traductions/rééditions traduites de l’œuvre zolienne en Roumanie : i) vers 1890, ii) entre 1921-1930, iii) entre 1971 et 2000. Les résultats nous montrent qu’il semble y avoir une similitude apparente, quoiqu’avec des accents différents, dans une première étape de la réception du naturalisme en Roumanie et au Portugal. Dans les deux pays, les premières références à l’esthétique de Zola apparaissent à la fin des années 1860, après la publication de Thérèse Raquin, et dans les deux pays, entre la fin des années 1870, à partir de 1878 environ, et le milieu des années 1880, on assiste à une intensification de la critique naturaliste et, simultanément, à la diffusion des œuvres de Zola, soit dans les versions originales, en tenant compte du fait que la population lettrée avait le français comme langue seconde, soit sous la forme de traductions, révélant la diffusion de l’esthétique naturaliste auprès du grand public. Dans les deux pays, on assiste à un combat critique, dans lequel, dans la confrontation entre deux générations littéraires, se joue, jusqu’aux années 1890, une lutte entre tradition et modernité, alors que, dans la pratique, la méthode naturaliste inspire un changement dans le canon du roman.
Cette vague de traductions reprend le premier plan après la mort de l’auteur, et on assiste à une intensification de l’édition traduite de son œuvre, notamment dans les années 1920-1930. Cela correspond, en général, à la préférence des lecteurs pour les auteurs français. Dans la constitution à ce moment-là, des “Biblioteca pentru toti”, c’est-à-dire, des collections d’auteurs contemporains à la mode, destinées à un public massifié, les réalistes et naturalistes tels que Balzac ou Zola occupent une place de choix[40].
C’est surtout à partir de cette période que nous observons une asymétrie si nous comparons les chronologies des traductions portugaise et roumaine. Entre les décennies de 1940 à 1960, le nombre de traductions est moins significatif en Roumanie, alors qu’au Portugal, comme nous avons référé, c’est une des périodes les plus productives, même en contrecycle avec un système très répressif.
Cependant, dans la période de l’influence soviétique, comme le soulignent Barjonet et Zieger, dans une œuvre fondamentale sur la réception de Zola dans les pays du “Bloc de l’Est”[41], la popularité de l’écrivain est soutenue par le régime d’autant plus qu’il est vu comme un modèle d’auteur engagé. D’ailleurs, les fonds des bibliothèques eux-mêmes attestent, à cette époque, la préférence pour les auteurs du XIXe siècle, notamment réalistes, car ils seraient les pionniers d’une littérature socialiste, anti-bourgeoise et révolutionnaire.[42]
En effet, pendant ces années-là, il y a une pression pour que la littérature roumaine s’adapte à un nouvel ordre idéologique et prône le rôle social de l’écrivain. Or le modèle de Zola convenait à ce nouvel ordre, comme le prouvent les diverses traductions de Germinal, l’œuvre zolienne qui met en scène le plus vivement la lutte d’inspiration marxiste contre le capitalisme. Cette reconnaissance est due bien évidement à notoriété dont Zola a toujours bénéficié en Russie, mais surtout aux impératifs idéologiques qui déterminent toute traduction sous le “rideau de fer”. Il faut, cependant, considérer que cet alignement de l’œuvre zolienne avec la littérature soviétique la mettait à l’écart de ceux qui se dressaient contre la soumission de l’écrivain à l’idéologie et réclamaient la liberté littéraire.
C’est pourquoi son œuvre ne sera redécouverte qu’après la chute du régime, suscitant alors une nouvelle vague de traductions et de retraductions, qui visent souvent à rétablir le texte originel, car l’accueil de l’œuvre de Zola n’avait pas empêché la Censure d’intervenir dans ses textes, avec l’introduction de plusieurs coupures dans des sections qui pourraient être considérées comme inappropriées par le régime totalitaire[43]. En effet, si jusqu’en 1960 l’œuvre de Zola était reconnue par une matrice nettement socialiste, à partir des années 1970, Zola devient l’objet d’interprétations et d’analyses de nature essentiellement académique et les traductions de ses œuvres gagnent un nouveau souffle.
Conclusion
Qui a traduit, quand, pourquoi et comment ce sont quelques-unes de questions éveillées par la traduction, soit d’un point de vue sociologique, mais aussi sous d’autres points de vue comme, parmi d’autres, la littérature comparée, l’histoire de la littérature ou l’histoire de la culture. C’est au carrefour de ces perspectives que l’œuvre traduite se place, émergeant comme un moyen privilégié dans la circulation d’idées en général mais aussi dans la construction de la fortune d’un auteur en particulier. Tout au long de cet article, nous avons éveillé des hypothèses concernant les contextes de publication des éditions traduites des œuvres de Zola au Portugal et en Roumanie soit dans des situations d’affirmation démocratique, soit sous les régimes de dictature. Nous avons conclu que, même si la circulation des œuvres traduites de Zola se maintient de forme régulière, il y a des asymétries dans les cycles de traduction tout au long du XXème siècle. Cependant, comme nous l’avons mentionné dans l’évaluation des résultats, les données disponibles dénotent une certaine incohérence entre les données quantitatives et plusieurs références de la critique littéraire qui présentent des cycles similaires aux portugais, une incohérence qui pourrait être dans la base d’une étude future.
[1] Célia Vieira & Inês Santos, « The Public and the Private on the Construction of a Celebrity: The Case of Émile Zola », Transilvania, no. 6 (2021) : 60-64.
[2] Alain Viala, « Qu’est-ce qu’un classique? », Littératures classiques, no. 19 (1993) : 13-31.
[3] Olivier Lumbroso et Céline Grenaud-Tostain, eds., Naturalisme.-Vous avez dit Naturalismes? Héritages, mutations et postérités d’un mouvement littéraire (Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2016).
[4] Le colloque « Traduire Zola, du XIXe siècle à nos jours », qui s’est tenu à l’université Roma Tre, du 27 au 29 avril 2017, demeure une étape fondamentale dans les études sur les traductions de Zola dans le monde. Cf. Bruna Donatelli et Sophie Guermès (éds.), Traduire Zola, du XIXe siècle à nos jours (Roma : TrE-Press, 2018).
[5] Yves Chevrel, La Littérature Comparée, col. « Que sais-je » (Paris : Presses Universitaires de France, 1989).
[6] Pascale Casanova, La République mondiale des lettres (Paris : Seuil, 1999).
[7] Franco Moretti, « Conjectures on world literature », New Left Review 1 (2000) : 54-68.
[8] Aurélie Barjonet et Karl Zieger, « Naturalismes du monde : l’apport de la littérature comparée », Les cahiers naturalistes 66, no. 94 (2020) : 397.
[9] S. Bassnett et A. Lefevere, Translation, History and Culture (New York : Pinter, 1990)
[10] Yves Gambier, « Y a-t-il place por une sociotraductologie? », in Constructing a Sociology of Translation, eds. M. Wolf et A. Fukari (Amsterdam & Philadelphia : John Benjamins, 2007).
[11] Susan Bassnett et Harish Trivedi, Postcolonial Translation.Theory and Practice (London : Routledge, 1998).
[12] A. Lefevere, « Why Waste Our Time on Rewrites? The Trouble with Interpretation and the Role of Rewriting in an Alternative Paradigm », in The Manipulation of Literature: Studies in Literary Translation, ed. T. Hermans (London : Croom Helm, 1985), 227.
[13] Claudia Ponccioni, As traduções de Zola em Português, um estudo das traduções de Germinal, (São Paulo : Anna Blume, 1999).
[14] Disponible sur le site https://porbase.bnportugal.gov.pt, PORBASE (Base de données bibliographiques nationale) est le catalogue collectif en ligne des bibliothèques portugaises. C’est la plus grande base de données bibliographiques du pays, à laquelle collaborent la Bibliothèque Nationale du Portugal et plus de 170 bibliothèques portugaises publiques et privées. Il s’agit d’une base de données dynamique, car elle est mise à jour quotidiennement.
[15] En 1999, Claudia Ponccioni avait trouvé 146 références à Zola. En 2023, dans une consultation simple, sans raffiner la recherche, on en compte, 620.
[16] Cristina Marinho, Zola em Portugal : convergências e divergências (Porto : Faculdade de Letras da Universidade do Porto, 1991).
[17] Maria Bîrnaz, « La traduction de Zola en roumain », in Traduire Zola, du XIXe siècle à nos jours, eds. Bruna Donatelli et Sophie Guermès (Roma : Tre-Press, 2018), 201-214.
[18] Daniela Pintilei, Traduire et retraduire l’œuvre d’Émile Zola en roumain, Faculté des Lettres et Sciences de la Communication, Université de Suceava, 2012; Daniela Pintilei, Traduire et retraduire l’œuvre d’Emile Zola en roumain (Paris : Éditions universitaires européennes, 2017).
[19] Rodica Ştefan, Naturalism românesc (Bucharest : Editura Niculescu, 2005).
[20] Ecaterina Cleynen-Serghiev, Les belles infidèles en Roumanje, Les traductions des œuvres françaises durant l’entre-deux-guerres (1919-1939) (Lille : Presses Universitaires de Valenciennes, 1993).
[21] Dicționarul cronologic al romanului tradus în România de la origini până la 1989 (Bucharest : Editura Academiei Române, 2005).
[22] Claudia Ponccioni, As traduções de Zola em Português.
[23] António Candeias et Eduarda Simões. « Alfabetização e escola em Portugal no século XX: Censos Nacionais e estudos de caso », Análise Psicológica XVII, no. 1 (1999): 163-194.
[24] Helena Carvalhão Buescu. « A Literatura sob a 1ª República », in Letras de Hoje 47, no. 4 (2012) : 387-391.
[25] Émile Zola, La république et la littérature (Paris : Charpentier, 1879).
[26] Nous utilisons la majuscule pour faire référence à la Censure comme démarche institutionnelle.
[27] Fernando Rosas, ed., O Estado Novo (1926-1974), in José Mattoso (dir.) História de Portugal, vol. VII, s.l. (Lisboa : Editorial Estampa, 1998).
[28] T Seruya et M. L. Moniz, « Foreign Books in Portugal and the Discourse of Censorship in Portugal in the 1950s », in Translation and Censorship in Different Times and Landscapes, ed. T. Seruya & M. L. Moniz (Newcastle : Cambridge Scholars Publishing, 2008), 3-21.
[29] Cf. Luís Carlos Pimenta Gonçalves, « Le crayon bleu de la Censure : œuvres d’auteurs français interdites au Portugal entre 1933 et 1974 », in Interlitteraria 22, no. 1 (2017) : 66–78, 67.
[30] João Mário de Mascarenhas, ed., Relação de Obras cuja circulação esteve proibida em Portugal durante o Regime Salazar/M. Caetano (Lisboa : Câmara Municipal, 1996).
[31] Luís Carlos Pimenta Gonçalves, « Le crayon bleu de la Censure ».
[32] Alain Viala, op. cit. ; et T Seruya & M. L. Moniz, op. cit.
[33] A. Pinheiro Torres, O Neo-Realiano literário português (Lisboa : Moraes, 1977).
[34] Roberto Pontes, « Realismo de 70 e neo-realismo português », Rev. de Letras 27, no. 1/2 (2005) : 45-53.
[35] Pedro Calheiros, Neo-realisme ou neo-naturalisme? (Paris : Fond. Calouste Gulbenkian, Centre Culturel Portugais, 1984).
[36] Émile Zola, Germinal, trad. Eduardo de Barros Lobo, 1956.
[37] Sabine Mehnert, “Traduire, c’est trahir? Pour une mise en question des notions de vérité, de fidélité et d’identité à partir de la traduction”, Trajectoires 9 (2015), mis en ligne le 15 décembre 2015, consulté le 30 juillet 2023. http://journals.openedition.org/trajectoires/1649.
[38] David Baguley, Bibliographie de la critique sur Émile Zola (Toronto : University of Toronto Press, 1976).
[39] Yves Chevrel. Le Naturalisme (Paris : Presses Universitaires de France, 1982).
[40] Ecaterina Cleynen-Serghiev.
[41] Aurélie Barjonet et Karl Zieger.
[42] Daniela Măriucuţa, « Le livre de littérature française dans les bibliothèques roumaines de 1957 : du bon usage d’un catalogue idéologiquement correct », Conserveries mémorielles 5, no. 1 (2008) : 107-119.
[43] La même chose se produirait avec la traduction d’autres auteurs naturalistes, comme ce fut le cas d’Eça de Queirós. Cf. Veronica F. Manole, « A intervenção da censura comunista em traduções romenas de literatura portuguesa: o romance “Os Maias” de Eça de Queirós ». Translationes 9, no. 1 (2017) : 114-128.
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